L.-F. Céline, l’un des plus grands romanciers du vingtième siècle, a également été, dans les trois pamphlets d’une rare violence verbale qu’il a publiés et réédités entre 1937 et 1943, mais aussi dans un nombre important de lettres envoyées aux journaux de l’époque, un apôtre zélé de l’antisémitisme. Il serait certes tentant de résoudre ce paradoxe en décrétant que l’odieux pamphlétaire a été, au mieux, une curiosité littéraire, au pire, un romancier médiocre. Ou encore que les pamphlets du romancier génial ne furent qu’une marotte littéraire, qu’une « bagatelle » sans conséquence. Les textes sont cependant là, et tous ceux qui ont voulu « relativiser » l’importance des romans ou l’horreur des pamphlets ont échoué.
Mettant fin à la longue éclipse de l’espace public des pamphlets, leur récente publication aux Éditions Huit constitue ainsi un jalon important dans la réception de l’œuvre de Céline. Techniquement, c’est-à-dire juridiquement, cette publication a été rendue possible par une législation différente au Canada et en France ; comme on sait, le délai légal d’entrée dans le domaine public, pour une œuvre littéraire, y est de 50 ans (70 ans en France). À compter du 1er janvier 2012, tout éditeur canadien peut rééditer ce qu’il veut de l’œuvre de Céline.
Si cette publication était possible, elle apparaissait également nécessaire pour de nombreux lecteurs. En effet, les pamphlets de Céline ‒ notamment ceux dont les ayants droit s’opposent à la réédition en France : Bagatelles pour un massacre (1937), L’école des cadavres (1938), Les beaux draps (1941) ‒ n’ont cessé de circuler, depuis la disparition de Céline, sous forme d’éditions pirates ; avec le développement d’Internet, les possibilités d’y avoir accès se sont encore accrues. Dans tous les cas de figure, il ne s’agit que de reproductions « à l’identique », en aucune façon des éditions critiques. Ajoutons que, le plus souvent, la circulation in(dé)finie de ces textes apparaît comme motivée par des raisons discutables, voire parfaitement condamnables, puisque elle est le fait de courants de pensée partageant ce qu’il y a de pire dans l’idéologie de Céline. La levée de l’interdit éditorial qui pesait sur les pamphlets permettra une véritable relance de la recherche universitaire sur l’œuvre bipolaire de cet écrivain.
Dans la foulée de cette édition, le premier colloque international consacré aux écrits polémiques de Céline – et le premier colloque sur Céline au Canada – a été organisé au printemps 2013 à l’Université Laval. Réunissant des chercheurs canadiens, français, belges et italiens, il s’est attaché à explorer ces textes sulfureux dans toutes leurs dimensions. Sur le plan moral, il va de soi que tous les participants de cette rencontre partageaient une réprobation sans faille et sans ambiguïté des aspects les plus abjects exprimés dans les pamphlets de Céline, mais en même temps conscience qu’il est inutile de refaire indéfiniment le procès de l’écrivain. À tous égards, le discours scientifique, qui n’est pas nécessairement détaché, demeure préférable aux jugements de valeur, le plus souvent gouvernés par les affects. Ces partis pris ont rendu possible l’excellente tenue générale du colloque.
Collaborateurs : Marie-Lise Auvray Doitteau (Université de Moncton), Johanne Bénard (Queen’s University), Paul Bleton (TÉLUQ), François-Emmanuel Boucher (Collège militaire royal du Canada), Anne Élaine Cliche (Université du Québec à Montréal), David Décarie (Université de Moncton), Valeria Ferreti (Université de Florence), Dominique Garand (Université du Québec à Montréal), David Labreure (Université de Nantes), François-Xavier Lavenne (Université catholique de Louvain), Philippe Roussin (CNRS), Régis Tettamanzi (Université de Nantes), Tonia Tinsley (Missouri State University), Bernabé Wesley (Université de Montréal).